
Aïe, en retournant vers le centre du terrain, Dieguito ressent une drôle de sensation au pied…
Sur le chemin du retour, dans son quartier, le bidonville de Villa Fiorito situé dans la banlieue de Buenos Aires, Maradona sent l’odeur de la poussière qui vole à chaque coup de vent. « C’est toujours mieux que la boue des jours de pluie » se dit-il. Il regarde ses pieds, plus précisément son soulier déchiré.
Son père n’appréciera pas cette découverte. Don Diego, son padre, est juste mais sévère. Malheureusement, son travail à l’usine l’épuise et le rend plus souvent sévère que juste.
Le jour de la naissance de Dieguito, le 30 octobre 1960, la famille Maradona vivait depuis quelques temps dans le bidonville et Don Diego avait déjà quatre filles. Malgré des conditions de vie difficile, Pelusa vit comme un coq en pâte. Petit dernier de sa fratrie et seul garçon, sa mère, Doña Tota, ainsi que ses sœurs le chouchoutent et lui passent tous ses caprices d’enfant-roi. Dès qu’il réclame une boisson, les femmes du foyer se battent pour la lui apporter. Cet enfant-roi allait accueillir par la suite, dans sa famille, deux petits frères ainsi qu’une autre sœur.
Avec le temps, le romantisme a dépassé la réalité. Les joueurs de cette époque racontent que les récompenses étaient des hot-dogs et du soda. Cependant, il semble plus probable que le plus beau des prix se comptait en pesos.
Ces joutes footballistiques sous haute tension, Dieguito ne les craignait pas. Pendant que son père sacrifiait son corps à l’usine, remporter un peu d’argent grâce au football était sa façon de contribuer au bien-être familial.
Le courage est une autre qualité qu’il a acquis à Villa Fiorito. Les interventions étaient parfois très musclées et il ne fallait pas espérer obtenir une faute à moins d’avoir un des leaders du quartier dans son équipe. Les plus jeunes se relevaient alors sans broncher, sans se plaindre. Cela fait parti des règles tacites du potrero.
Sens du dribble, vice, force mentale et courage, telles sont les qualités qui lui permettront de séduire le peuple napolitain ou d’emmener au septième ciel les supporters argentins.
Le matin, au réveil, l’ambiance y était lugubre quand le père, Don Diego, ne trouvait pas la force d’aller travailler. Le corps meurtri, il était incapable de se lever. Loin de pouvoir bénéficier d’acquis sociaux, il recevait son salaire une fois par jour et s’il ne pouvait pas se rendre à l’usine, il ne pouvait pas nourrir ses enfants. Faute d’argent, la nourriture était alors la grande absente des placards.
Sachant cela, difficile d’imaginer la pression que le jeune Diego devait supporter lorsqu’il participait à des rencontres sportives pour quelques pesos. Quelques pesos qui pouvaient lui permettre de soutenir son père meurtri et ses sœurs au ventre vide. Dans ce marasme, sa mère devait souffrir en silence, prête à se sacrifier pour le bien-être de ses enfants. Elle gagnait quelques pièces en tant que femme de ménage, quand la garde de ses enfants ne lui demandait pas trop de temps.
Dans les meilleurs jours, c’est-à-dire quand il y avait de la nourriture à la maison, Doña Tota se chargeait de la cuisine. Dieguito devait alors prendre deux gros seaux d’eau, les remplir plus loin dans son quartier et les ramener à la seule force de ses bras. Maradona s’en amuse aujourd’hui, racontant qu’il s’agissait de ses premiers exercices de musculation. A cette absence d’eau reliée s’ajoute une électricité aléatoire. Les coupures étaient régulières et la famille devait s’accommoder de ces inconvénients quotidiens.
Dans ces conditions, le danger principal était clair : prendre de mauvaises décisions quand la faim guettait. Le vol à l’étalage, occasionnel, était la seule activité illégale à laquelle s’adonnait de temps à autre Diego. Une orange par-ci, une pomme par-là, rien de bien grave. Cependant, de nombreux enfants n’ont pas eu la chance d’être doté d’un pied gauche en or. Si d’autres avaient aussi du talent, ils n’ont pas eu le destin de Maradona.
Goyo Carrizo, l’ami de Pelusa mentionné plus tôt, n’a pas eu sa chance par exemple. Victime d’une grave blessure à 20 ans, ce triste événement a coupé court sa carrière prometteuse avec Argentinos Juniors… Dépression et pauvreté, telle était sa vie après ce coup du sort. Très loin du romantisme transparaissant de la vie d’El Diez.
Le but du siècle, la main de Dieu, ses origines modestes, ses addictions, sa célébrité, cette religion Maradonienne le célébrant, sa terrible blessure, ses liens avec la Camorra, son but extraordinaire et sa célébration lunaire lors de la Coupe du monde 1994… Le commun des mortels ne vivra pas un dixième de son histoire. Cependant, toutes ces péripéties entourent son parcours d’un halo de légende… Il devient parfois difficile de distinguer le « vrai » du « mythe ».
La phrase n’était pas terminée, mais certains ont décidé de la couper là. Et c’est trompeur, parce que tout le monde a alors pensé que je parlais de la Coupe du monde. Alors qu’en réalité, je voulais être champion de mon championnat avec mes coéquipiers, mes potes ! Il n’y a pas longtemps, la vidéo est sortie en intégralité : pour moi, mon équipe, c’était comme la sélection…
Mais pourquoi aurais-je dit que je voulais être champion du monde alors que je n’avais même pas la télévision ? […] Vous voyez comment on peut réécrire l’histoire ? » Diego Maradona dans Ma Vérité.
Où est la vérité ? Où est la légende ? La frontière est sans doute devenue une longue nuance de gris avec des faits réels mêlés aux fantasmes, du folklore ponctué d’authenticité. Mais n’est-ce pas cette part d’ombre, de mystère, qui rend le football si beau ?
Ce qui est sûr, c’est qu’à seulement 10 ans, Diego Maradona ne s’en souciait guère de sa légende. Il ne voulait qu’une chose, jouer au football avec ses amis.
La vie à Villa Fiorito était difficile mais le talent de Diego Maradona pouvait lui permettre de sortir de cet enfer à ciel ouvert. Pour cela, il devait rejoindre un club structuré, un club qui lui permettrait de montrer son talent au monde entier. Malheureusement, c’était impossible tant qu’il ne franchissait pas un obstacle, un obstacle symbolique, le pont d’Alsinas. Ce pont séparait Villa Fiorito du reste de la ville. Pour le franchir et participer à la journée de détection d’Argentinos Juniors, il devait acheter un ticket de bus. Le prix de ce ticket, qui représentait l’équivalent d’une brindille pour une famille aisée, était une folie pour un gamin du bidonville. Heureusement, pour lui et pour le football, sa mère réussira à convaincre son père de lui offrir ce précieux sésame.